Marco Rizzuti: Divieto della fecondazione post mortem e diritti umani (CEDU, ricorsi n. 57307/18 – 22296/20 – 37138/20, Dalleau e altri c. Francia)

Communiquée le 11 janvier 2021 Publié le 1er février 2021

CINQUIÈME SECTION

Requête no 37138/20 Laurenne CABALLERO contre la France introduite le 14 août 2020

OBJET DE L’AFFAIRE

La requête concerne le refus des autorités administratives de procéder au transfert des embryons du couple que formait la requérante et son mari décédé vers l’Espagne, pays qui autorise l’insémination artificielle post mortem.

La requérante et son mari ont eu deux enfants nés en octobre 2014 et décembre 2018, le second par fécondation in vitro alors que son père était atteint d’une leucémie aigüe lymphoblastique de type T. En vue de poursuivre leur projet familial, la requérante et son mari avaient en effet entamé des démarches pour une procréation médicalement assistée (PMA). Cinq de leurs embryons ont été conservés au Centre hospitalier universitaire de Brest à partir des 17 et 18 février 2018.

Alors que l’état de santé du mari de la requérante s’aggravait, ce dernier a attesté le 30 janvier 2019 de son souhait que sa femme puisse utiliser les embryons conservés s’il venait à mourir. Le 15 février 2019, le couple a donné son accord afin de renouveler la conservation des embryons.

À la suite de la mort de son mari le 21 avril 2019, la requérante prit contact avec le centre de reproduction assistée de l’hôpital de Barcelone et entama des démarches pour procéder à une PMA avec transfert des embryons. Après le refus du Centre hospitalier universitaire de Rennes (CHRU) de procéder au transfert d’embryon post mortem, la requérante

OBJET DE L’AFFAIRE ET QUESTIONS – CABALLERO c. FRANCE

saisit le 16 décembre 2019 le juge des référés du tribunal administratif de Rennes, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, afin d’enjoindre au directeur de CHRU d’exporter les embryons conservés vers le centre de reproduction à Barcelone.

Par une ordonnance du 20 décembre 2019, le juge des référés rejeta sa requête. Après avoir rappelé les dispositions des articles L. 2141-2 et L. 2141-9 du code de la santé publique (CSP), interdisant respectivement l’insémination posthume et l’exportation d’embryons conservés en France s’ils sont destinés à être utilisés à des fins qui sont prohibées sur le territoire national, le juge considéra ce qui suit :

« Les dispositions mentionnées [notamment les articles L. 2141-2 et L. 2141-9] ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l’article 8. L’interdiction posée par l’article L. 2141-2 [du CSP] de procéder, en cas de décès du mari, à un transfert d’embryon au profit de sa veuve, relève de la marge d’appréciation dont chaque État dispose, dans sa juridiction, pour l’application de la [CEDH] et elle ne porte pas, par elle-même, une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu’il est garanti par les stipulations de l’article 8 de cette convention. Les dispositions de l’article L. 2141-9 de ce même code, qui interdit également que des embryons conservés en France puissent faire l’objet d’une exportation, s’ils sont destinés à être utilisés, à l’étranger, à des fins qui sont prohibées sur le territoire national, visent à faire obstacle à tout contournement des dispositions de l’article L. 2141-2 et ne méconnaissent pas davantage, par elles-mêmes, les exigences nées de l’article 8 de cette convention.

Toutefois, la compatibilité de la loi avec les stipulations de la CEDH ne fait pas obstacle à ce que, dans certaines circonstances particulières, l’application de dispositions législatives puisse constituer une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par cette convention. Il appartient par conséquent au juge d’apprécier concrètement si, au regard des finalités des dispositions législatives en cause, l’atteinte aux droits et libertés protégés par la convention qui résulte de la mise en œuvre de dispositions, par elles-mêmes compatibles avec celle-ci, n’est pas excessive.

Il résulte de l’instruction que M. et Mme Caballero, déjà parents de deux petites filles nées de leur union, avaient le projet d’avoir au moins un nouvel enfant. Dans un courrier du 30 janvier 2019 que son état de santé ne lui permettait pas de rédiger et de signer de manière manuscrite, M. Caballero a fait état de ce projet parental et de son souhait que son épouse puisse, s’il venait à décéder prématurément, utiliser les embryons conservés, précisant qu’il savait que c’était autorisé en Espagne et non en France, et indiquant en revanche qu’il ne voulait pas que ses paillettes soient utilisées ou étudiées mais qu’il voulait qu’elles soient détruites. Toutefois, malgré ce projet et la volonté ainsi exprimée, Mme Caballero, qui est de nationalité française et réside en France, ne se prévaut d’aucun lien particulier avec l’Espagne, pays dans lequel un établissement de santé est en mesure de procéder à un transfert d’embryon post-mortem. Ainsi, le projet de transfert d’embryon à l’étranger poursuivi par Mme Caballero a pour effet de contourner les dispositions législatives françaises qui font obstacle à sa réalisation. Dans ces conditions, compte tenu des intérêts légitimes qui fondent la législation française actuellement en vigueur, et eu égard à la circonstance que deux enfants sont nés de l’union de M. et Mme Caballero, la décision contestée ne porte pas au droit de Mme Caballero au respect de sa vie privée et familiale garanti par les stipulations de l’article 8 de la CEDH, une atteinte excessive.

OBJET DE L’AFFAIRE ET QUESTIONS – CABALLERO c. FRANCE

Cette décision de refus ne porte donc pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition d’urgence, que les conclusions présentées par Mme Caballero (…) doivent être rejetées. »

Par une ordonnance du 24 janvier 2020, le Conseil d’État rejeta l’appel de l’ordonnance du 20 décembre 2019 :

« (…) Il résulte de l’instruction que la demande tendant à ce que les embryons issus des gamètes du couple soient déplacés vers un établissement médical espagnol résulte d’un projet parental auquel le mari de Mme A. a consenti de son vivant. Toutefois, il n’est pas contesté que la demande de déplacement en Espagne n’est fondée que sur la possibilité légale d’y faire procéder à un transfert d’embryon post-mortem, Mme A., de nationalité française, n’entretenant aucun lien avec l’Espagne et ne faisant état d’aucune circonstance particulière. À cet égard, le fait que l’objet du litige concerne non les gamètes de son mari mais les embryons conçus grâce à ses propres gamètes ne constitue pas une circonstance de nature à établir que la décision contestée porterait une atteinte excessive aux stipulations de l’article 8 de la [CEDH]. »

Le 31 juillet 2020, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi relatif à la bioéthique, en deuxième lecture, avec modifications. Ce projet maintient l’interdiction de la procréation posthume. Auparavant, dans un avis sur ce projet rendu le 24 juillet 2019, le Conseil d’État en avait préconisé la levée :

« Par ailleurs, le texte maintient également la condition tenant au fait d’être en vie au moment de la réalisation de l’AMP, ce qui écarte toute possibilité de recourir à l’AMP à l’aide des gamètes d’un homme décédé ou des embryons conservés par un couple dont l’homme est décédé. Cette situation aboutit à ce qu’une femme dont l’époux est décédé doive renoncer à tout projet d’AMP avec les gamètes de ce dernier ou les embryons du couple, alors qu’elle sera autorisée à réaliser une AMP seule, avec tiers donneur. Le Conseil d’État estime qu’il est paradoxal de maintenir cette interdiction alors que le législateur ouvre l’AMP aux femmes non mariées. Certes le principe d’égalité n’est pas méconnu dès lors que la femme seule et la femme dont le conjoint ou le concubin est décédé sont placées dans des situations différentes, notamment au regard de leur capacité à consentir librement à une AMP et au regard de la filiation de l’enfant. Dans un souci de cohérence d’ensemble de la réforme, le Conseil d’État recommande cependant au Gouvernement d’autoriser le transfert d’embryons et l’insémination post mortem, dès lors que sont remplies les deux conditions suivantes : d’une part une vérification du projet parental afin de s’assurer du consentement du conjoint ou concubin décédé ; d’autre part un encadrement dans le temps (délai minimal à compter du décès et délai maximal) de la possibilité de recourir à cette AMP. »

La requête pose des questions sous l’angle de l’article 8 de la Convention. La requérante estime que sa situation est différente de l’affaire Dalleau c. France (no 57307/18) pendante devant la Cour car elle concerne la demande de transfert des embryons du couple qui comportent son patrimoine génétique et non pas seulement les gamètes de son époux décédé. Elle estime pour cette raison que l’absence de lien particulier avec l’Espagne invoqué par les juridictions nationales pour rejeter sa demande

OBJET DE L’AFFAIRE ET QUESTIONS – CABALLERO c. FRANCE

n’était pas suffisante. Elle fait valoir par ailleurs que la Cour a toléré une restriction au recours à une technique de procréation sur le sol d’un État partie, en visant explicitement le fait que cette même technique est accessible dans un autre État (S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, § 114, CEDH 2011.

QUESTION AUX PARTIES

Le refus d’exporter les embryons conçus grâce aux gamètes de la requérante et de celles de son mari décédé, vers un établissement de santé espagnol autorisé à pratiquer les procréations médicalement assistées, emporte-t-il violation du droit de celle-ci au respect de sa vie privée ou de son droit au respect de sa vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention ?

Communiquée le 11 janvier 2021 Publié le 1er février 2021

CINQUIÈME SECTION

Requête no 22296/20 Léa BARET contre la France introduite le 27 mai 2020

OBJET DE L’AFFAIRE

La requête concerne le refus des autorités administratives de procéder au transfert des gamètes de l’époux défunt de la requérante, M.B., vers l’Espagne, pays qui autorise l’insémination artificielle post mortem.

La requérante et M.B. vivaient en couple et avaient conclu un pacte civil de solidarité le 25 février 2016. En septembre 2016, M.B. s’est vu diagnostiqué une tumeur cérébrale. Le 28 décembre 2016, il a effectué un dépôt de paillettes de sperme au sein du service de biologie de la reproduction du Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) de l’hôpital de la Conception à Marseille. La requérante et M.B. se sont mariés le 30 janvier 2019. Deux jours auparavant, M.B. avait rédigé un testament dans lequel il désignait la requérante comme étant l’unique décisionnaire de l’utilisation ou de la destruction de ses paillettes s’il venait à mourir avant une grossesse. Il a indiqué que dans ce cas, il aimerait qu’elle « puisse avoir recours à la procréation post mortem, peut-être dans un autre pays ». M.B est décédé le 23 mars 2019.

Par courrier du 25 mai 2019, la requérante sollicita auprès du CECOS le transfert vers un établissement de santé espagnol des paillettes du sperme de son époux défunt. Par courrier du 3 juin 2019, celui-ci lui répondit que la demande devait être adressée à l’Agence de biomédecine, ce qu’elle fit par courrier du 10 janvier 2020.

OBJET DE L’AFFAIRE ET QUESTIONS – BARET c. FRANCE

Par une requête du 4 février 2020, la requérante saisit le juge des référés du tribunal administratif de Marseille sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, afin d’enjoindre à l’Assistance publique- Hôpitaux de Marseille (APHM) de prendre toutes mesures utiles en vue de permettre l’exportation des gamètes de M.B. vers un établissement de santé en Espagne.

Par une ordonnance du 10 février 2020, le juge des référés rejeta sa requête au motif que l’APHM n’était pas compétente pour donner suite à sa demande, et que cet établissement n’avait donc pas commis d’illégalité grave et manifeste en n’autorisant pas le transfert demandé.

Par une ordonnance du 28 février 2020, le Conseil d’État rejeta l’appel de l’ordonnance du 10 février. Outre le motif indiqué par le premier juge, il considéra ce qui suit :

«7. (…) en tout état de cause, l’interdiction posée par l’article L. 2141-2 du code de la santé publique d’utiliser, en cas de décès du mari, les gamètes de celui-ci au profit de sa veuve, relève de la marge d’appréciation dont chaque État dispose pour l’application de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et elle ne porte pas, par elle-même, une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu’il est garanti par les stipulations de l’article 8 de cette convention. Les dispositions de l’article L. 2141-11-1 de ce même code qui interdisent également que des gamètes conservés en France puissent faire l’objet d’un déplacement, s’ils sont destinés à être utilisés, à l’étranger, à des fins qui sont prohibées sur le territoire national, visent à faire obstacle à tout contournement des dispositions de l’article L. 2141-2 et ne méconnaissent pas davantage, par elles-mêmes, les exigences nées de l’article 8 de la convention européenne.

8. Toutefois, la compatibilité de la loi avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne fait pas obstacle à ce que, dans certaines circonstances particulières, l’application de dispositions législatives puisse constituer une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par cette convention. Il appartient par conséquent au juge d’apprécier concrètement si, au regard des finalités des dispositions législatives en cause, l’atteinte aux droits et libertés protégés par la convention qui résulte de la mise en œuvre de dispositions, par elles-mêmes compatibles avec celle-ci, n’est pas excessive.

9. La demande tendant à ce que les gamètes de M. C. soient déplacées vers un établissement médical espagnol résulte d’un projet parental auquel celui-ci avait consenti de son vivant. Toutefois, il n’est pas contesté que la demande d’exportation en Espagne n’est fondée que sur la possibilité légale d’y faire procéder à une insémination artificielle post-mortem, Mme C…, de nationalité française, n’entretenant aucun lien avec l’Espagne et ne faisant état d’aucune circonstance particulière de nature à établir que la décision contestée porterait une atteinte excessive aux stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »

Le 31 juillet 2020, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi relatif à la bioéthique, en deuxième lecture, avec modifications. Ce projet maintient l’interdiction de la procréation posthume. Auparavant, dans un

OBJET DE L’AFFAIRE ET QUESTIONS – BARET c. FRANCE

avis sur ce projet rendu le 24 juillet 2019, le Conseil d’État en avait préconisé la levée :

« Par ailleurs, le texte maintient également la condition tenant au fait d’être en vie au moment de la réalisation de l’AMP, ce qui écarte toute possibilité de recourir à l’AMP à l’aide des gamètes d’un homme décédé ou des embryons conservés par un couple dont l’homme est décédé. Cette situation aboutit à ce qu’une femme dont l’époux est décédé doive renoncer à tout projet d’AMP avec les gamètes de ce dernier ou les embryons du couple, alors qu’elle sera autorisée à réaliser une AMP seule, avec tiers donneur. Le Conseil d’État estime qu’il est paradoxal de maintenir cette interdiction alors que le législateur ouvre l’AMP aux femmes non mariées. Certes le principe d’égalité n’est pas méconnu dès lors que la femme seule et la femme dont le conjoint ou le concubin est décédé sont placées dans des situations différentes, notamment au regard de leur capacité à consentir librement à une AMP et au regard de la filiation de l’enfant. Dans un souci de cohérence d’ensemble de la réforme, le Conseil d’État recommande cependant au Gouvernement d’autoriser le transfert d’embryons et l’insémination post mortem, dès lors que sont remplies les deux conditions suivantes : d’une part une vérification du projet parental afin de s’assurer du consentement du conjoint ou concubin décédé ; d’autre part un encadrement dans le temps (délai minimal à compter du décès et délai maximal) de la possibilité de recourir à cette AMP. »

Comme dans l’affaire Dalleau contre France (no 57307/18), la requête pose des questions sous l’angle de l’article 8 de la Convention. La requérante considère que le refus des autorités françaises d’autoriser l’exportation de gamètes en vue d’une insémination post mortem en Espagne porte atteinte à sa vie privée et familiale.

QUESTION AUX PARTIES

Le refus d’exporter les gamètes du mari décédé de la requérante vers un établissement de santé espagnol emporte-t-il violation du droit de celle-ci au respect de sa vie privée ou de son droit au respect de sa vie familiale, au sens de l’article 8 de la Convention ?

Communiquée le 29 mai 2019

CINQUIÈME SECTION

Requête no 57307/18 Valérie DALLEAU contre la France introduite le 3 décembre 2018

EXPOSÉ DES FAITS

La requérante, Mme Valérie Dalleau, est une ressortissante française née en 1983 et résidant à Antony. Elle est représentée devant la Cour par Me D. Simhon, avocat exerçant à Paris.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.

Le 10 décembre 2016, il fut diagnostiqué que le compagnon de la requérante, M.C., était atteint d’un cancer. Le 13 décembre 2016, l’avant- veille du début de son traitement par chimiothérapie, M.C. procéda à un dépôt de ses gamètes au centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) de l’Hôpital Cochin à Paris. Le 25 février 2017, il conclut un pacte civil de solidarité avec la requérante.

Le couple entama les démarches pour une procréation médicalement assistée. La requérante indique qu’elles ont été interrompues en raison de la détérioration de l’état de santé de M.C. Le 19 septembre 2017, M.C. écrivit au CECOS pour qu’il rapatrie les gamètes à l’hôpital Antoine-Béclère où devait se dérouler l’insémination artificielle.

Le 25 septembre 2017, M.C. fut admis à l’hôpital où il est décédé le 29 septembre 2017.

Le 26 décembre 2017, la requérante demanda au CECOS un transfert des paillettes vers un établissement de santé implanté en Espagne en vue d’une insémination post mortem. D’après la loi espagnole 14/2006 sur les techniques de reproduction humaines assistée, tout homme peut indiquer,

2 EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS – DALLEAU c. FRANCE

dans un testament, un acte authentique ou des directives anticipées, son souhait de voir ses gamètes utilisés après son décès pour provoquer une grossesse chez son épouse (ou sa compagne). Le lien de filiation est alors reconnu si l’intervention a lieu dans les douze mois qui suivent le décès.

En l’absence de réponse du centre, par une requête enregistrée le 23 mai 2018, la requérante demanda au juge des référés du tribunal administratif (ci-après TA) de Paris d’ordonner à l’Assistance publique – hôpitaux de Paris – de prendre toutes mesures utiles afin de permettre l’exportation des gamètes de son compagnon défunt vers un établissement de santé situé dans l’Union européenne, autorisé à pratiquer les procréations médicalement assistées.

Par une ordonnance du 25 mai 2018, le juge des référés rejeta sa requête. Il indiqua que les dispositions du code de la santé publique n’étaient pas incompatibles avec l’article 8 de la Convention car l’interdiction qu’elles posent d’utiliser les gamètes du mari après son décès pour réaliser une insémination au profit de sa veuve relève de la marge d’appréciation dont dispose l’État pour l’application de la Convention. Il jugea par ailleurs que l’interdiction de l’exportation des gamètes déposés en France, s’ils sont destinés à être utilisés à l’étranger à des fins qui sont prohibées sur le territoire national, visait à faire obstacle à tout contournement de la loi française. Sur l’appréciation de l’atteinte portée par la décision contestée au droit de la requérante au respect de sa vie privée et familiale, le juge des référés considéra ce qui suit :

« Il résulte de l’instruction et n’est pas contesté que [la requérante et M.C.] avaient le projet de devenir parents. Pour permettre ce projet malgré la mise en œuvre d’un traitement par chimiothérapie qui risquait d’altérer sa fertilité, [M.C.] a procédé au dépôt de spermatozoïdes le 13 décembre 2016 auprès du CECOS de l’hôpital Cochin. À cette occasion, il lui a été indiqué que la conservation des spermatozoïdes était strictement personnelle, qu’elle était assurée pour une durée d’un an renouvelable, qu’il serait interrogé tous les ans sur le devenir de ses paillettes, que ses paillettes ne pourront être délivrées qu’à lui-même présent et consentant sur présentation de sa pièce d’identité, et qu’en cas de décès, il serait mis fin à cette conservation. Par la suite, et alors que son état de santé s’est stabilisé au mois d’avril 2017 pour se dégrader de façon fulgurante le 25 septembre 2017, M.C. n’a jamais exprimé la volonté que ses paillettes soient utilisées en vue d’une insémination artificielle postérieurement à son décès éventuel. Par ailleurs, [la requérante], qui est de nationalité française et réside en France, n’a pas de lien particulier avec l’Espagne, pays dans lequel un établissement de santé aurait accepté de procéder à une insémination post mortem, selon les affirmations de son avocat à l’audience, non corroborées par les pièces du dossier. Ainsi, le projet d’insémination à l’étranger poursuivi par [la requérante] est clairement animé par la volonté de contourner les dispositions législatives françaises qui font obstacle à sa réalisation. Dans ces conditions, compte tenu des intérêts légitimes qui fondent la législation française, la décision contestée ne porte pas atteinte au droit de [la requérante] au respect de sa vie privée et familiale garanti par les stipulations de l’article 8 de la [Convention], une atteinte excessive. »

EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS – DALLEAU c. FRANCE 3

La requérante forma un pourvoi en cassation et invoqua une violation de l’article 8 de la Convention. Par une ordonnance du 13 juin 2018, le Conseil d’État rejeta sa requête. Il considéra notamment que :

« Pour estimer que le refus opposé à [la requérante] n’entraîne pas, en l’espèce, de conséquences manifestement contraires aux exigences nées de l’article 8 de [la Convention], le juge des référés du tribunal administratif de Paris s’est fondé sur la double circonstance que, d’une part, alors qu’il a été indiqué à [M.C.] que la conservation des spermatozoïdes était strictement personnelle et qu’en cas de décès, il serait mis fin à cette conservation, celui-ci n’a jamais exprimé la volonté que ses paillettes soient utilisées en vue d’une éventuelle insémination artificielle post mortem et que, d’autre part, [la requérante], qui est de nationalité française, réside en France et n’a pas de lien particulier avec l’Espagne, pays où se trouve un établissement avec lequel elle a pris contact en vue d’une assistance médicale à la procréation après le décès de M.C., ne démontre pas l’existence d’une circonstance particulière constituant une ingérence disproportionnée dans ses droits garantis par [la Convention]. La requérante n’apporte en appel aucun élément nouveau susceptible d’infirmer l’appréciation ainsi portée par le juge des référés de première instance tant en ce qui concerne la volonté manifestée par M.C. qu’en ce qui concerne l’existence de circonstances tenant à des liens particuliers entretenus avec un autre État membre de l’Union européenne dans lequel une insémination artificielle post mortem peut être légalement pratiquée. »

À la suite d’une demande du greffe, l’avocat de la requérante indiqua à la Cour que, parallèlement à la procédure de référé, la requérante avait introduit un recours au fond. Par un jugement du 21 décembre 2018, le TA de Paris rejeta sa requête pour les mêmes motifs que ceux invoqués par le juge des référés. Le 22 février 2019, la requérante interjeta appel du jugement.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

1. Le code de la santé publique

Les articles pertinents du code de la santé publique se lisent ainsi :

Article L. 2141-2

« L’assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à la demande parentale d’un couple.

Elle a pour objet de remédier à l’infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité.

L’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans et consentant préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination. Font obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons le décès d’un des membres du couple, le dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie, ainsi que la révocation par écrit du consentement par l’homme ou la femme auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l’assistance médicale à la procréation. »

EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS – DALLEAU c. FRANCE

Article L. 2141-11

« Toute personne dont la prise en charge médicale est susceptible d’altérer la fertilité, ou dont la fertilité risque d’être prématurément altérée, peut bénéficier du recueil et de la conservation de ses gamètes ou de ses tissus germinaux, en vue de la réalisation ultérieure, à son bénéfice, d’une assistance médicale à la procréation, ou en vue de la préservation et de la restauration de sa fertilité. Ce recueil et cette conservation sont subordonnés au consentement de l’intéressé et, le cas échéant, de celui de l’un des titulaires de l’autorité parentale, ou du tuteur, lorsque l’intéressé, mineur ou majeur, fait l’objet d’une mesure de tutelle. »

Article L. 2141-11-1

« L’importation et l’exportation de gamètes ou de tissus germinaux issus du corps humain sont soumises à une autorisation délivrée par l’Agence de la biomédecine.

Seul un établissement, un organisme ou un laboratoire titulaire de l’autorisation prévue à l’article L. 2142-1 pour exercer une activité biologique d’assistance médicale à la procréation peut obtenir l’autorisation prévue au présent article.

Seuls les gamètes et les tissus germinaux recueillis et destinés à être utilisés conformément aux normes de qualité et de sécurité en vigueur, ainsi qu’aux principes mentionnés aux articles L. 1244-3, L. 1244-4, L. 2141-2, L. 2141-3 et L. 2141-11 du présent code et aux articles 16 à 16-8 du code civil, peuvent faire l’objet d’une autorisation d’importation ou d’exportation.

Toute violation des prescriptions fixées par l’autorisation d’importation ou d’exportation de gamètes ou de tissus germinaux entraîne la suspension ou le retrait de cette autorisation par l’Agence de la biomédecine. »

Article L. 2141-18

« Il est mis fin à la conservation des gamètes ou des tissus germinaux en cas de décès de la personne. Il en est de même si, n’ayant pas répondu à la consultation selon les modalités fixées par l’arrêté prévu aux articles R. 2142-24 et R. 2142-27, elle n’est plus en âge de procréer.

Les modèles de consultation annuelle de la personne et de confirmation du consentement sont fixés par décision du directeur général de l’Agence de la biomédecine. »

Article R. 2141-17

« I.- La personne, dont les gamètes ont été recueillis ou prélevés et conservés dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation pour un projet parental en application de l’article L. 2141-1, est consultée chaque année par écrit sur le point de savoir si elle maintient cette modalité de conservation.

Si elle ne souhaite plus la maintenir, elle peut consentir en application de l’article L. 1211-2:

1o À ce que ses gamètes fassent l’objet d’un don en application du chapitre IV du titre IV du livre II de la première partie du présent code après vérification des conditions précisées à la présente section ; si elle fait partie d’un couple, le consentement de l’autre membre du couple est également recueilli en application de l’article L. 1244-2 ;

EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS – DALLEAU c. FRANCE 5

2o À ce que ses gamètes fassent l’objet d’une recherche dans les conditions des articles L. 1243-3 et L. 1243-4 ;

3o À ce qu’il soit mis fin à la conservation de ses gamètes.

II.- Dans tous les cas, le consentement est exprimé par écrit au moyen du document de consultation mentionné au premier alinéa et fait l’objet d’une confirmation par écrit après un délai de réflexion de trois mois à compter de la date de signature du consentement initial. Le consentement est révocable jusqu’à l’utilisation des gamètes ou jusqu’à ce qu’il soit mis fin à leur conservation.

III.- Il est mis fin à la conservation des gamètes en cas de décès de la personne. Il en est de même si, n’ayant pas répondu à la consultation selon les modalités fixées par l’arrêté prévu aux articles R. 2142-24 et R. 2142-27, elle n’est plus en âge de procréer. »

2. La jurisprudence du Conseil d’État

Dans un arrêt du 31 mai 2016 (no 396848), le Conseil d’État s’est prononcé sur la question de l’insémination post mortem à la suite du décès du mari d’une ressortissante espagnole dont les gamètes étaient conservés dans un hôpital français. Le Conseil d’État a décidé d’enjoindre aux autorités compétentes de prendre toutes mesures afin de permettre l’exportation des gamètes litigieux vers un établissement de santé espagnol autorisé à pratiquer les procréations médicalement assistées. Sur l’appréciation de l’atteinte portée à la vie privée et familiale de la requérante, le Conseil d’État considéra ce qui suit :

« Il résulte de l’instruction que Mme C. A. et M. B. avaient formé, ensemble, le projet de donner naissance à un enfant. En raison de la grave maladie qui l’a touché, et dont le traitement risquait de le rendre stérile, M. B. a procédé, à titre préventif, à un dépôt de gamètes dans le centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme de l’hôpital Tenon, afin que Mme C. A. et lui-même puissent, ultérieurement, bénéficier d’une assistance médicale à la procréation. Mais ce projet, tel qu’il avait été initialement conçu, n’a pu aboutir en raison de la détérioration brutale de l’état de santé de M. B., qui a entraîné son décès le 9 juillet 2015. Il est, par ailleurs, établi que M. B. avait explicitement consenti à ce que son épouse puisse bénéficier d’une insémination artificielle avec ses gamètes, y compris à titre posthume en Espagne, pays d’origine de Mme C. A., si les tentatives réalisées en France de son vivant s’avéraient infructueuses. Dans les mois qui ont précédé son décès, il n’était, toutefois, plus en mesure, en raison de l’évolution de sa pathologie, de procéder, à cette fin, à un autre dépôt de gamètes en Espagne. Ainsi, seuls les gamètes stockés en France dans le centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme de l’hôpital Tenon sont susceptibles de permettre à Mme C. A., qui réside désormais en Espagne, d’exercer la faculté, que lui ouvre la loi espagnole de poursuivre le projet parental commun qu’elle avait formé, dans la durée et de manière réfléchie, avec son mari. Dans ces conditions et en l’absence de toute intention frauduleuse de la part de la requérante, dont l’installation en Espagne ne résulte pas de la recherche, par elle, de dispositions plus favorables à la réalisation de son projet que la loi française, mais de l’accomplissement de ce projet dans le pays où demeure sa famille qu’elle a rejointe, le refus qui lui a été opposé sur le fondement des dispositions précitées du code de la santé publique – lesquelles interdisent toute exportation de gamètes en vue d’une utilisation contraire aux règles du droit français – porte, eu égard à l’ensemble des

6 EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS – DALLEAU c. FRANCE

circonstances de la présente affaire, une atteinte manifestement excessive à son droit au respect de la vie privée et familiale protégé par les stipulations de l’article 8 de [la Convention]. Il porte, ce faisant, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. »

GRIEF

Invoquant l’article 8 de la Convention, la requérante se plaint du refus des autorités françaises d’autoriser l’exportation de gamètes en vue d’une insémination post mortem en Espagne. Elle considère qu’un tel refus porte atteinte à sa vie privée et familiale.

QUESTION AUX PARTIES

Le refus d’exporter les gamètes du partenaire décédé de la requérante, vers un établissement de santé espagnol autorisé à pratiquer les procréations médicalement assistées, emporte-t-il violation du droit de celle-ci au respect de sa vie privée ou de son droit au respect de sa vie familiale, au sens de l’article 8 de la Convention ?

Le Gouvernement est invité à apporter des précisions sur les réflexions en cours concernant la question de la procréation post mortem dans le cadre de la réforme de la loi bioéthique de 2011.

Hormis l’arrêt du Conseil d’État rendu en Assemblée plénière le 31 mai 2016, les parties sont invitées à apporter des précisions sur la jurisprudence des juridictions administratives et à produire copie des jugements et arrêts relatifs à la procréation post mortem.

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